Ciel 1998. Photographie couleur , 55 x 80 cm
Ciel 1998. Photographie couleur , 55 x 80 cm
Le premier souvenir, la première image à s’être imposée, c’était le ciel. Dans notre société moderne, on oublie souvent l’existence des choses importantes qui nous entourent, les plus évidentes, notamment les phénomènes naturels, soit par manque de temps, soit par indifférence, soit par désintérêt. J’ai donc voulu ramener à la vue ces choses oubliées par le regard. J’ai choisi comme thème d’exploration le ciel, qui est toujours là, mais auquel on ne fait pas attention. Et j’ai donc invité le ciel dans ma chambre pour mieux le regarder.
En déplaçant un objet de sa place habituelle, nous sommes amenés à réfléchir autrement sur cet objet, et, peut-être, à redécouvrir ou à retrouver des sensations perdues à son sujet. En contemplant le ciel comme un objet neuf, il m’a révélé, à moi aussi, des choses que je croyais avoir oublié, des phénomènes intérieurs ignorés.
« C’est alors que le ciel bleu nous donne le conseil de son calme et de sa légèreté. »1 Ce calme cette douce mélancolie, et cette nostalgie que nous ressentons devant le ciel entrait alors en harmonie avec mes propres sensations et les sentiments qui étaient les miens à cette époque où je me sentais si loin de chez moi. Le ciel bleu, médité par l’imagination maternelle, est sentimentalité pure, une sublimation évasive et c’est le meilleur véhicule pour la rêverie, ainsi que pour renouer avec ses souvenirs. Parce qu’il n’impose pas sa substance visible ou sa forme, c’est le support rêvé pour la projection des matériaux de la vie intérieure : souvenirs, rêves, sentiments.
J’ai projeté l’image du ciel dans mon espace quotidien pour pouvoir me réfugier dans sa couleur bleue, ignorer le temps et prolonger le rêve, recréer un espace abstrait mais sentimental, léger jusqu’à l’apesanteur. L’image du ciel représente donc le lien entre deux temps et deux lieux : entre le passé et le présent, aussi bien qu’entre le lieu de l’intime et l’espace extérieur.
La technique de projection me permet de lier deux espaces : l’image de l’extérieur superposée à l’espace intérieur crée un espace nouveau, jusque-là inconnu. Cette série de travaux combine donc la projection selon deux angles complémentaires : il s’agit tout d’abord d’une projection mentale, d’un mouvement qui va de l’intérieur de la conscience à l’extériorité, mais aussi d’une technique en soi, utilisant un projecteur de diapositives et une série de prises de vue de ciels réalisée par mes soins.
Ces installations au sein de l’espace quotidien se servent donc d’une technique dynamique : la projection et d’un matériau donné au départ : des clichés, en quelque sorte du déjà-vu. Cette notion de déjà-vu me semble importante et en elle, je trouve une analogie conceptuelle avec la notion de ready-made utilisé par Marcel Duchamp à propos de ses travaux. La différence ici est que le matériau-support de mes créations relève du déjà-vu, du déjà-projeté et non pas du déjà-fabriqué, c’est-à-dire des objets que Duchamp détournait de leur fonction première pour créer des œuvres d’art.
1. Gaston Bachelard, L’Air et les songes, Le Livre de Poche, collection biblio, Paris, 2001. p.211.